Le marché
Lit de poireaux, pagaille de pommes de terre,
Tomates renversées, joue de bœuf et camembert,
Cortège de parfums dans les allées enfumées, de voix fortes, cliquetis de pièces et slogans clamés,
Bottes de radis, mimosa en fleurs, safran de Turquie, saucisses et beurre,
Choux farcis, œufs fermiers et beignets frits,
Laitue, levure de porc et pain perdu, crêpes et gigot d’agneau, céleri et cabillaud,
Rouget, estragon et rillettes, se donnent en fête.
Étalages comme un large sourire, de couleurs et textures qui rendent ivre.
Recherche d’un croissant ou de têtes d’ail, s’entrecroisent, s’entremêlent, dans cette jolie bataille.
Cabas et paniers d’osier se remplissent joyeusement,
Ciboulette, origan, miel et cresson,
Cocktail de vie dans la halle, murmure de l’essence humaine,
Théâtre sociétal du marché, ne vaut-il pas la peine ?
Ébullition de joie, de poésie gourmande, de verres entrecroisés, de mains tendres, d’effluves et de pain,
Le marché devrait être une journée sans fin, et le dimanche midi, un futur lointain.
L’oeuf
Les œufs, ce soleil comme un pétard dans l’assiette, un coup de poing au milieu des haricots verts.
Sur son îlot blanc il trône, brillant vif prêt à exploser.
A la manière d’un petit être fier qui gonflerait la poitrine, il nargue la fourchette, prête à le lacérer d’un geste mécanique, métallique.
Coulant sur la faïence, il se répand, à la manière d’un lac de lave sur champ d’asperges.
Il glisse sur la langue, habille les joues de son manteau velours enrobe le palais de son goût de poulet pas né.
Trempé dans le pain, n’est-ce pas le plus pur mariage ? L’harmonie d’un blé cuit sur l’enfant de l’oiseau ?
Pourquoi l’œuf m’inspire tant, je ne saurai vous l’expliquer.
Inlassablement il revient, sur le trône de mes chouchous culinaires. En armée dans le compartiment du frigidaire, il attend, brave soldat, d’être conduit au palais, palais de la reine, palais délicat.
Farouchement il se jette à son sort, cuit poché, frit ou à la coque, peu importe. Fier il éclatera, d’orange, de brillant, d’un peu de jaune et beaucoup d’éclat.
Son destrier, ce drap neige, auquel je n’accorde aucune considération, joue pourtant le second rôle, qui permet le premier, de son insignifiance il cristallise, tout le brio du rond gonflé.